de la Grande Guerre.
En 1911 mon père fut incorporé au 1er Zouaves, et selon l’usage, répandu en Algérie tout comme en Métropole, le conscrit se faisait « tirer la photo », tout fier de son bel uniforme et de devoir servir la patrie. Mon père était né à Nemours, dont le nom arabe est Ghazaouet, petit port à la frontière du Maroc. Justement son père, né à Debdou, était marocain. À 18 ans le jeune Samuel fut présenté par Yehuda, mon grand-père, devant le juge de paix en faisant valoir le droit du sol pour devenir français. Et le voilà trois ans plus tard incorporé. La photo est émouvante, parce que d’une grande précision : c’était l’époque où la photographie était, comme l’indique l’étymologie du mot, « écriture de la lumière » et grand art mis au point par Nicéphore Niepce, l’inventeur qui fixa l’image sur une plaque d’étain recouverte de bitume de Judée – peut-être puisé aux limons de la Mer Morte − qui durcit à la lumière, procédé amélioré ensuite par Daguerre (qui donna son nom à mon école communale à Alger). Bon, le trouffion n’en avait cure, mais il savait bien que ce cliché si soigné allait, tel qu’en lui-même enfin, le figer pour l’éternité, et voilà que, plus d’un siècle après, il nous restitue ce magnifique visage, tel que je ne l’ai connu, moi qui suis né quand mon père avait déjà quarante-cinq ans − « mon Benjamin » m’appelait-il, « fils de ma droite ».
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Rachel vue par Chagall
(Avant de partir pour Canaan avec Jacob elle dérobe les idoles de son père, Laban)
Les matriarches sont fort présentes dans la conscience juive. À l’égal des patriarches ? Peut-être davantage. N’ont-elles pas l’avantage du nombre ? La tromperie de Laban a fait de Jacob le premier véritable bigame de l’Histoire. Alors que Sarah est étroitement liée au destin d’Abraham – lui sauvant, malgré elle, la vie aux yeux Pharaon, et recevant à l’égal de son époux la lettre hé du tétragramme (Saraï שרי devenue Sarah שרה – Abram אברם devenu Abraham אברהם) qui les rattachent tous deux au souffle divin יהוה – et Rebecca à celui d’Isaac, formant tous deux un couple d’amoureux accordés par la grâce d’une fontaine où Abimelech, l’émissaire d’Abraham, abreuvera son troupeau en même temps qu’il élira, pour Isaac, l’épouse la meilleure. Et assurément la plus intelligente de toutes, puisqu’elle, et elle seule, fomentera pour son fils chéri le destin mirifique de Jacob – on se rappellera par quelle ruse elle saura attirer sur le préféré de ses jumeaux, et le second en titre, la bénédiction d’Isaac aveuglé de vieillesse. Et Jacob, enfin, qui dans les ténèbres du lit nuptial convolera successivement, et avec bonheur, avec Léa puis avec Rachel.
Gérard de Cortanze, grand voyageur et grand biographe, au goût hispanique jamais démenti dans sa plongée aux sources méditerranéennes qui sont les siennes, se penche pour la première fois sur le destin juif et apporte une nouvelle pierre au mur des Lamentations – le mal nommé, car son vrai nom est « Mur Occidental » (Kotel Maaravi), celui qui reste du Temple en son aile Ouest. Dans cet An prochain qui est son année dernière à Grenade, le romancier invente pour nous tout à la fois un amour fou – celui de la Juive Gâlâh – et une fantastique traversée du temps par la vertu d’une pierre magique, sur fond de persécutions, de massacres et de génocide.
Nouveau «fou d’Elsa», Gérard de Cortanze compose pour nous un zejel inédit comme en aimait Aragon, tout autant épris de Grenade, «Ville des Juifs aux mille et trente tours» : Ô mon amour, feu qui me touche,
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Albert Bensoussan
Elle me regarde et m’ordonne de parler…
Sam est mon neveu que Juliette, sa mère, amena chez nous un jour d’avril 41, en parcourant la France occupée : le gosse contre son sein, elle debout dans le convoi des fuyards, Paris-Lyon/Marseille-Saint-Charles. Puis là le rafiot jusqu’à celle qui deviendrait capitale de la France Libre : Alger. Et voilà que, dans ce train de la liberté, un officier, probable Waffen-SS, se lève en voyant la jeune maman – l’épouse de mon frère Simon avait vingt ans – pour galamment lui offrir, bitte schön, sa place. Sans savoir, par chance, que cette jolie femme aux boucles claires, aux grands yeux noirs, était une Juive sans étoile, et l’enfant dans ses bras bel et bien circoncis.
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La littérature de langue française en Tunisie commence réellement avec lui et la publication de La statue de sel, roman parrainé par ce grand découvreur que fut Maurice Nadeau et préfacé par Albert Camus. Memmi est alors un Tunisien convaincu. Né en 1920, à l’approche de son centenaire, il nous livre ici[1] ses carnets intimes, ceux où il a noté, presque au jour le jour, ses impressions quand la Tunisie se préparait à devenir indépendante (en 1956), se débattait en luttes intestines entre Destour et Néo-Destour, installait Bourguiba (qui sera proclamé « président à vie ») sur son trône – le journal télévisé dans les années 70/80, quand je rendais visite à cet attachant pays, nous montrait à chaque séquence Monsieur le Président derrière son bureau, se levant pour recevoir tel haut dirigeant, tel dignitaire, tel ambassadeur, lui serrant la main et le gratifiant de cet éclatant sourire qui faisait tout son charme.
On connaît depuis longtemps les travaux du chercheur Carol Iancu qui, depuis Montpellier où il est professeur émérite de l’université Paul Valéry et directeur de l’École des Hautes Études du Judaïsme de France, s’est intéressé de près à sa communauté d’origine en produisant des ouvrages tels que Les Juifs en Roumanie (1866-1919). De l’exclusion à l’émancipation, Le combat international pour l’émancipation des Juifs de Roumanie ou La Shoah en Roumanie. Tout en se penchant, par ailleurs, sur les Juifs du Midi, son lieu de résidence, voire sur les Juifs d’Afrique du Nord, aux côtés de sa savante épouse Danièle Agou (originaire de Djelfa). Naguère venu à l’université de Rennes-2, il s’était penché avec bon nombre de spécialistes sous l’autorité de l’historien Marc Belloc sur ce que disent et ce que ne disent pas des Juifs et de la tragédie juive les manuels scolaires d’histoire − mais où en est aujourd’hui en France l’enseignement de la Shoah en classe d’histoire ?
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L’écrivain israélien Aharon Appelfeld est né en 1932 à Czernowitz en Bucovine, territoire partagé entre l’Ukraine et la Roumanie tragiquement ballotté par l’Histoire. Son œuvre est forte d’une quarantaine d’ouvrages, pour près de la moitié traduits en français. Ce rescapé de la Shoah a vu disparaître ses parents et grands-parents, s’est évadé d’un camp de concentration – où a péri son père, sa mère ayant été exécutée précédemment −, a erré quatre ans dans les forêts d’Ukraine, avant de trouver refuge en Israël. Témoin privilégié de la destruction du shtetl et du génocide juif, il a parfois été considéré comme « l’écrivain de la Shoah », ce dont il refuse le caractère restrictif. Et puis, comment peut-on se dire l’écrivain de la Shoah, comment écrire et dire l’indicible ?
« La réalité de l’holocauste a dépassé tout ce que l’on peut imaginer. Si je rapportais fidèlement les faits, personne ne me croirait », confie-t-il à Philip Roth (cf. Philip Roth, Opération Shylock, p. 95)
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