Soukkot, c’est aussi un flot de légendes et d’historiettes, comme il sied aux fêtes de pèlerinage. L’une des plus belles a été récemment contée dans le très beau film israélien Ushpizin, exaltant les « invités » de la soukka et le miracle de leur présence.
Il suffit de tenir dans sa main le fruit d’or de l’étrog – le cédrat – que l’on fait basculer de la tige basse à la crête haute, et qu’on balance de la main gauche à la main droite, et la voie est ouverte au miracle, tout comme « la porte de l’Éternel par laquelle pénètrent les justes » (Tsadikim yabohou bo).
Il faut juste être juste, ou tenter de l’être ! On en raconte à Pessah et à Chavouot, on en raconte à Soukkot, des histoires et des légendes. Par le fait que ces fêtes supposent – exigent – un déplacement : dans tous les cas il fallait « monter » à Jérusalem pour célébrer la fête. Et lorsqu’on chemine et que la route est longue, alors vagabondent dans la tête et se déroulent sur les lèvres d’interminables histoires. Toujours éclairantes. Je me rappelle être monté à Jérusalem pour un Soukkot particulièrement historique, car la presse dénombra quelque cent cinquante mille personnes massées sur l’esplanade du Kotel et recevant la bénédiction des Cohanim dont les multiples taliths faisaient comme des vagues de neige battant contre le mur du Kotel. C’était en soi une forme de miracle. Et toutes et chacune d’entre ces personnes allèrent poser leur visage sur la pierre. Et pour chacune d’entre elles, la pierre du Kotel où le front se cognait était bien, comme on le répète en balançant son loulav, une « rosh pinah », une pierre angulaire. Oui, j’ai répété à deux reprises, avec tout le kahal, bras et loulav dressés, que « la pierre dédaignée par les bâtisseurs (évène maassou habonim) est devenue pierre angulaire (hayeta lerosh pinah) ». C’est justement là que se bâtit l’histoire. Et cette pierre – ce Mur – s’appelle émouna.
Deux hommes, nous dit-on, préparent la fête des cabanes et chacun d’eux entend bâtir sa propre soukka pour sa famille. Le premier est bricoleur, habile, audacieux, fier de ses mains et de lui-même, alors que le second est maladroit, peu doué, mais convaincu qu’il faut néanmoins mettre la main à la paille. Ils vont ensemble quérir le bois, les roseaux, le chaume et toutes les guirlandes que l’on doit suspendre avec les divers fruits de belle odeur. Et chacun s’en va bâtir dans son paysage. Pour que le chantier s’achève quand commence la fête. Une fête qui, rappelons-le, est aussi invocation de la pluie et du vent, puisqu’elle culminera à l’heure de « Sim’hat Torah » au remplacement de la rosée printanière (morid atal) par l’automnal « Machiv aroua’h ou morid agueshem ». Et donc dans la nuit précédant le premier jour, alors qu’on a fini de célébrer arvit, voilà que le vent promis, annoncé et bientôt imploré, se met à souffler très fort. En tempête. Le lendemain matin quel spectacle s’offre à nos deux hommes ? La soukka du plus habile est à terre, dévastée, anéantie ; celle du maladroit a tenu le coup, elle est toujours debout. Mais comment, et pourquoi ? Voilà : le prétendu astucieux, si fier du travail de ses mains, si orgueilleux, si sûr de son talent de bâtisseur et qui, face à son comparse, roulait tant des mécaniques, avait bâti sa soukka en plein milieu de son jardin, et donc sans souci d’une quelconque intempérie, l’essentiel à ses yeux étant que l’on voie et admire son savoir-faire. Eh quoi, la soukka, qui est demeure de l’éphémère et du transitoire, puisqu’elle fut par excellence l’habitat du peuple nomade et de l’errance, pouvait-elle se soutenir toute seule au milieu des fleurs, au cœur du verger ? Illusion, mirage, pauvre fier de toi qui n’as pas compris le sens exact de cette bâtisse de roseaux. L’autre, le malhabile, le peu fier de lui, celui qui doutait de la force de ses bras, mais avait, en revanche, la foi chevillée au corps, avait bâti sa soukka en roseaux, certes, sur trois côtés, mais laissant pour le quatrième la force du mur. Quel mur ? Le Mur, mais oui, la roche parabolique ou hyperbolique, la pierre angulaire (métaphoriquement) du Kotel, cette pierre qu’on appellera la émouna, la foi. Sur son balcon, la cabane était ouverte au vent, certes, mais sur l’arrière elle avait la solidité de la pierre la soutenant et la préservant du vent tempétueux. L’histoire est simple et éloquente. Soukkot nous apprend que rien n’est bâti – n’est acquis – à demeure. Soukkot est la célébration du nomadisme. Moi qui n’ai plus rien, fils de l’Exode, moi qui fus spolié et dépouillé, et qui n’ai d’autre toit qu’un appartement en location, je suis heureux de cette fête et de la réflexion qu’elle entraîne. Oui, cette fête me parle… Nous venons tout juste de digérer l’histoire de Jonas (haftara de min’ha à Kippour), vomi de son poisson (dag gadol) et privé de l’ombre d’un ricin (kikayone), nous sommes dégoulinants d’algues et de flots, nous sommes ruisselants de sueur, poisseux de contrition, de peine et de jeûne, et voilà qu’aussitôt après (5 jours) on nous dit : ne vous prenez pas la tête, rien ne vous appartient, vous n’avez en vous, en nue-propriété, rien d’autre qu’un peu d’âme et de flamme, et sachez l’entretenir, dans la senteur des bessamim – celles que nous agitons avec le loulav, myrte, saule, palme et cédrat. Est-il d’autre besoin ? D’autre prix ?
Après la fête, je couperai mon cédrat en fines tranches et en ferai une fameuse confiture*, que je concocterai au lendemain de Soukkot – ou plutôt au surlendemain, car le fruit doit reposer 24 heures dans son eau -, et je la dégusterai avec mon épouse Déborah. Hag soukkot saméah, à l’année prochaine et vive la vie !
Albert Bensoussan
* recette de l’Echet Hayil : Vous coupez le cédrat (si vous pouvez en glaner deux ou trois, c’est mieux) en tranches très fines. Vous ajoutez le même poids d’eau et vous laissez reposer 24 heures. Le lendemain vous mettez à cuire dans une casserole pendant 1 heure. Vous ajouterez le même poids de sucre et le jus d’un citron (deux si vous disposez de 2 ou 3 cédrats) et laisserez cuire encore pendant 1/4 d’heure. Après quoi, vous en remplirez un pot (ou 2) immédiatement. À déguster à froid. Bété avone.
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