La démocratie israélienne
ou la marche du canard… Ce palmipède, on
le sait, glisse sur l'eau comme si de rien n'était
alors que, sous lui, ses pattes n'arrêtent pas
de s'agiter. Il en est ainsi du régime politique
israélien : un modèle de stabilité
en surface qui masque un parcours turbulent. Sans compter
les turbulences internes. Pas moins de six ministres
des Finances au cours des 10 dernières années
: difficile de faire mieux!
Il faut en chercher la raison dans le
système électoral adopté au lendemain
de la création de l'Etat, le 14 mai 1948, et
appliqué pour la première fois en février
1949, lors des premières législatives.
Un scrutin de liste à un tour, à la proportionnelle
intégrale, le pays ne formant qu'une seule circonscription
électorale. L'idée fondatrice était
généreuse : assurer une représentativité
à chaque courant ou mouvement avec pour seule
restriction un seuil d'éligibilité placé
à 1% des suffrages. A l'arrivée : un multipartisme
exacerbé! Partant, tous les gouvernements du
pays n'ont jamais été que des gouvernements
de coalition, aucun parti n'ayant réussi à
obtenir la majorité absolue à la Chambre.
Au plan pratique, les 58 ans d'application
de ce système se divise en deux grandes parties.
La première qui court de 1949 à 1977 est
caractérisée par une stabilité
relative. La vie politique est, en effet, dominée
par un grand parti, le Mapaï – qui allait
se transformer en parti travailliste par la suite –
fondé en 1930, qui a fourni au nouvel Etat ses
dirigeants, ses valeurs, son idéologie. D'une
élection à l'autre, son score oscillait
entre 48 et 56 mandats. Il lui suffisait alors de l'apport
d'un seul parti pour gouverner en toute quiétude.
Mais non sans soubresauts, liés à des
crises internes. Son allié privilégié,
en ce temps, fut le Parti National Religieux, classé
alors modéré, qui récoltait régulièrement
12 mandats.
La seconde débute en 1977 n'est
pas encore achevée. Cette année là,
plusieurs faits se sont conjugués pour provoquer
un renversement de tendance : et d'un, le Likoud devance
pour la première fois le parti travailliste au
décompte des voix; et de deux, recul du PNR;
et de trois, émergence d'un nouveau parti, le
Dach, composé de bric et de broc et de beaucoup
de déçus de la direction travailliste,
mais qui d'emblée décroche 15 mandats.
Parti météore, qui disparaîtra lors
de la consultation suivante, mais qui sur le moment
va permettre à la droite de diriger le pays.
1981 va marquer un pic absolu pour le Likoud et le parti
travaillistes qui, avec 48 mandats pour l'un et 47 pour
l'autre, vont totaliser 95 mandats. Un pic, mais aussi
leur chant du cygne. Peu à peu s'amorce un émiettement
de l'électorat au détriment des deux grands
:85 élus à eux deux en 1984, 76 en 1992,
66 en 1996 pour se retrouver à 45 en 1999. Quatre
ans plus tard, un regain de forme va permettre au Likoud
de remonter à 37 mandats tandis que le parti
travailliste réalisait le résultat le
plus catastrophique de son histoire en chutant à
19 mandats, soit le score du Likoud en 1999.
Deux raisons sont avancées pour
tenter d'expliquer ce phénomène . Et d'une,
la perte de crédibilité des deux grands
partis, jugés incapables de gérer les
grands dossiers de l'heure, soupçonnés
de corruption, ce qui additionné à un
seuil d'égibilité très bas (1%,
puis 1,5% ) a accéléré l'émergence
de la représentation sectorielle; et de deux,
la modification du système électoral,
adoptée en 1992, portant élection du 1er
ministre au suffrage universel tandis que le mode d'élection
des députés demeurant en l'état.
La fausse bonne solution par exellence. En offrant,
en effet, à l'électeur la possibilité
de déposer deux bulletins dans l'urne, l'un pour
la présidence du Conseil, l'autre pour le parti
de son choix, le législateur a libéré
le vote sectoriel de toute contrainte, ce qui a contribué
à l'atomisation de la vie politique, à
marquer les clivages, à privilégier les
particularismes, faisant voler en éclat le rêve
du melting pot à l'israélienne. La classe
politique, constatant les dégâts, est revenue
au statu quo ante. Revoici donc l'électeur avec
un seul bulletin dans la main.
Autre phénomène notable
: à partir de 1981, aucun des deux grands partis
n'est plus en mesure de constituer un gouvernement avec
ses seuls alliés naturels, à sa gauche
ou à sa droite. L'un et l'autre ont alors fait
appel aux seuls partis dont les controverses politiques
classiques n'étaient pas le souci primordial,
à savoir les partis orthodoxes religieux, sépharade
et ashkénaze. Pour ces derniers, la seule préoccupation
digne d'intérêt est la place de la religion
dans la société. Les seuls problèmes
existenciels qu'ils connaissent touchent au développement
de leur système éducatif : crêches,
maternelles, écoles talmudiques, yéchivot,
kollels, synagogues, mikvés et la lutte contre
les courants du judaïsme considérés
déviationnistes. Leur montée en puissance
fut donc tributaire non pas de leur force politique
réelle, mais de leur rôle de parti-charnière.
Inconvénient majeur du système
en vigueur : l'électeur est coupé de l'élu.
Ce qu'il envoie à la Knesset, c'est une liste
de noms dont il ne connaît – dans le meilleur
des cas – que les dix premiers. Partant, l'élu
ne doit fidélité qu'à ceux qui
lui ont permis de figurer en bonne place : adhérents,
comité central ou arbitraire des dirigeants (
les fameuses commissions de nomination ). C'est la porte
ouverte aux abus, à la corruption..
Que faire? L'intéressant est
que tout un chacun est convaincu de la nécessité
d'un changement radical de régime parlementaire.
Plusieurs formules sont envisageables. Un régime
présidentiel, par exemple. Ou un mode électoral
à l'anglaise, scrutin majoritaire à un
tour. Ou encore à l'allemande, avec panachage
: scrutin majoritaire + scrutin de liste. Et pourquoi
pas à la française? Mais tout cela suppose
de procéder, au préalable, à un
découpage du pays en circonscriptions. Aussi,
la vraie question qui se pose n'est pas que faire? mais
si nos députés sont à même
de donner priorité à l'intérêt
général sur l'intérêt privé,
le leur. En clair : scier la branche sur laquelle ils
sont assis.